ITINERAIRE D’UNE GALERISTE HORS CADRE

Chez elle, les fraises Tagada côtoient les petits fours et le champagne sans faire d’histoires. Les artistes qu’elle présente ont en commun avec elle un rien d’enfance qui les rend joyeux ou insolents, selon l’humeur. Une façon bien à elle de très sérieusement ne pas se prendre au sérieux, et d’abattre les murs pour poser des toiles.

Qui pourrait imaginer qu’au tout début de l’histoire de Ghislaine Eonnet Dupuy il y a un livre : L’histoire du Temple de Massada, trouvé dans la bibliothèque de son père, le docteur. Ça lui plaît trop ! Elle veut être archéologue. Un professeur d’histoire prend le relais. Une visite au Musée du jeu de Paume à l’âge de 15 ans en décide autrement : la prof raconte, les peintures vivent. C’est coché imprimé à jamais. Elle s’occupera d’elles.
Il y a souvent chez les personnes qui ont vécu une « interruption », une « immobilité forcée » un avant et un après.

Comme une grâce de sur-vie accordée à ceux qui traversent l’épreuve d’un pépin de santé. La jeune fille Ghislaine en sort avec une immense énergie qui la pousse à l’action, rentrer illico dans la vraie vie adulte, travailler, retrouver les images…
L’expérience Artcurial dure trois ans. Trois ans de liberté absolue, créativité sans limite et voyages aventureux au sein du département des affiches, dans l’Agora. Ghislaine va à New York, en Italie, partout et collecte des affiches oubliées, ignorées, dont elle voit la valeur picturale insensée, comme une superbe affiche de Picasso éditée chez Cercle d’Art. Les éditeurs, les théâtres, les lieux mémorables lui montrent les portes des « placards du bas » et elle pioche, glane, rapporte des trésors, met en place, et monte ensuite des expositions. La très jeune femme se fait sa culture d’art contemporain et de photographie avec les plus grands : un musée d’affiches !

L’aventure Black et Blanc

Avec Valérie de Lescure, une amie rencontrée à Artcurial, elle monte une petite société d’édition d’images photographiques, cartes postales et affiches, les éditions Black et Blanc. Le Musée de l’Elysée, à Lausanne et Catch, en Hollande, lui accordent leurs diffusions exclusives en France. C’est une époque un peu folle, tellement dans l’air du temps, où les filles partent en voiture faire les tournées des points de vente du Nord au Sud, avec de plus en plus d’images dans la tête.

Naissance d’une galerie

Il fallait bien qu’un tel feu follet tombât un jour sérieusement amoureux ! C’est la rencontre déterminante avec Vincent Dupuy qui rassemble les énergies et passions de l’un et de l’autre, et donne naissance à la première galerie Eonnet-Dupuy. Black et Blanc est rapatrié dans un nouveau local, qui fonctionne en maison d’édition, rue Vieille du temple, juste avant la mode. La première exposition est un coup de cœur de Vincent pour le peintre François Crabit. Beaucoup d’artistes passeront par ce lieu, reçus et découverts par Ghislaine et Vincent, qui poursuivront avec eux une longue suite d’expositions. Ailleurs. Car entre Guerre du Golfe, crack boursier et huissiers, l’histoire s’arrête. La fleur au fusil se fait avoir pour une banale histoire de trésorerie !

Galeriste hors les murs

Ghislaine a toujours eu ce don d’exercer son métier en tous lieux. Elle présente Denis Pouppeville à la Bénédictine de Fécamp, où elle est commissaire d’exposition, à 36 ans. A Evry, Eric Danel lui propose de s’occuper de la Manufacture des Oeillets, un sublime plateau dans une ancienne usine. Chez Mohanjeet, Paris 6e, elle organise des expositions d’artistes indiens contemporains.

Hier, Montmartre

Un petit Basile est né. Les Eonnet Dupuy vivent rue Tholozé où Ghislaine ouvre la deuxième galerie. Ca grimpe sec pour arriver là-haut. Mais ça ne décourage ni les artistes ni les collectionneurs. Les expositions et dîners d’expositions dans la maison bohème de Ghislaine et Vincent ont laissé des souvenirs magiques sur la Butte. Un peu plus bas, au White Elephant, elle offrira une programmation de belles expos, comme celle de Liliane Muller, qui reste dans les annales.
Aujourd’hui, La Boucherie. Saint-Briac : la Bretagne reprend ses droits et ses talents. Ghislaine y vient souvent, c’est un lieu familial. De plus en pus souvent, lorsque de son amitié avec Nicolas Chine naît l’idée de transformer un ancien local de brocante en galerie. Ghislaine y installe, d’étés en week-ends, sa colonie d’artistes singuliers auxquels se joignent les artistes déjà présents, comme les Tisné, la peintre et le photographe.

Mais désormais, l’ancre est jetée et « elle expose tous les jours ! »
« Cela prend des années pour être mature et exercer pleinement ce métier qui demande de la maturité, du recul, des connaissances. Comme une vie d’artiste, une vie de galeriste, ça se construit. J’ai avancé comme une vague qui se nourrit de la vague d’avant et les artistes m’ont toujours suivi, ils sont restés mes amis.

Lorsque je vais dans un atelier, j’écoute, je regarde, je « renifle ». Parce que c’est global, un travail d’artiste, c’est leur vie, pas juste des cadres posés à vendre contre un mur. Ils sont dans le vide, personne ne les attend, leurs œuvres sortent d’eux, sans que personne ne leur demande rien. Cela demande une grande force de caractère que je comprends et respecte. J’aime beaucoup les « obsessionnels », ceux qui traquent toujours la même chose, quel que soit le sujet, et ils m’ont fait comprendre depuis longtemps que le sujet, ce n’est pas le sujet ».

Marie Paule VADUNTHUN
Artiste, Journaliste
Juin 2017